©Kiriko Nananan

samedi 23 août 2014

Guillevic - Hiver (extrait)

Quand le merle sifflait dans l'herbe et que le vent
Rongeait d'éternité les pierres de nos gros murs,
C'était pour nous la fête et tout s'accomplissait.

Nous connaissions le temps, 
Pour avoir attendu avec l'eau sous la terre
Et nous savions
Le façonner autour de nous comme le temple
Et qu'il résonne de notre cri.

Plus tard le cours des jours et la terrible absence
Et te porter encore, 
Pesant de tout le poids
Des lieux vacants de toi.
Te porter plaie brûlante ouverte sur la ville
Et craindre.

Mais maintenant le temps
S'incurve autour de nous
Et toi présente.
Les vagues de la joie, le chant
Comme des pierres délivrées, 
Le sourire
Ou plutôt l'obole des visages,
Et l'aventure
De tant s'aimer.

Toute fête a ses cris et nous avions les nôtres.

Puisqu'ils pouvaient enfin 
Avoir passage dans la gorge
Et trouver l'air, emplir
Un coin de chambre, un pli de drap,
Ce n'était pas pour dire ou appeler,
C'était nos corps pressés d'aller plus loin encore,
D'arriver quelque part où plus rien ne se crie.

Mais non ! la terre... la terre où tout se joue,
La terre chargée de nous.

Dehors le merle et sa chanson
Sont avec nous.
L'effort des céréales et l'eau des frondaisons,
L'offre impudique des chemins
Et tant de bois.


Guillevic, Terraqué, Gallimard, 1945.

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