Je ne peux plus regarder ton visage
Où te caches-tu
La maison s’est évanouie parmi les nuages
Et tu as quitté la dernière fenêtre
Où tu m’apparaissais
Reviens que vais-je devenir
Tu me laisses seul et j’ai peur
Rappelle-toi le temps où nous allions ensemble
Nous marchions dans les rues entre les maisons
Et sur la route au milieu des buissons
Parfois le vent nous rendait muets
Parfois la pluie nous aveuglait
Tu chantais au soleil
Et la neige me rendait gai
Je suis seul je frotte mes paupières
Et j’ai presque envie de pleurer
Il faut marcher vers cette lumière dans l’ombre
C’est toute une histoire à raconter
La vie si simple et droite sans tous les petits à côtés
Vers la froide lumière que l’on atteindra malgré tout
Ne te presse pas
Qui est-ce qui souffle
Quand je serai arrivé qui est-ce qui soufflera
Mais seul je n’ose plus avancer
Alors je me mis à dormir
Peut-être pour l’éternité
Sur le lit où l’on m’a couché
Sans plus rien savoir de la vie
J’ai oublié tous mes amis
Mes parents et quelques maîtresses
J’ai dormi l’hiver et l’été
Et mon sommeil fut sans paresse
Mais pour toi qui m’as rappelé
Il va falloir que je me lève
Allons les beaux jours sont passés
Les longues nuits qui sont si brèves
Quand on s’endort entrelacés
Je me réveille au son lugubre et sourd
D’une voix qui n’est pas humaine
Il faut marcher et je te traîne
Au son lugubre du tambour
Tout le monde rit de ma peine
Il faut marcher encore un jour
A la tâche jamais finie
Que le bourreau vienne et t’attelle
Ce soir les beaux jours sont finis
Une voix maussade t’appelle
Pour toi la terre est refroidie
De loin je revois ton visage
Mais je ne l’ai pas retrouvé
Disparaissant à mon passage
De la fenêtre refermée
Nous ne marcherons plus ensemble
Pierre Reverdy, Plupart du temps, Flammarion, in Jacques Roubaud, 128 poèmes composés en langue française, Gallimard, 1995, p. 38-40.